4 Questions à Florence Verzelen – Vice-présidente exécutive de Dassault Systèmes (DSY) « …il existe deux leviers essentiels pour favoriser l’essor des champions technologiques européens : créer un écosystème de marchés de capitaux en Europe et faciliter la collaboration entre le secteur public et le secteur privé »

05/03/2025

Pour célébrer la Journée de la femme le 8 mars 2025, nous sommes ravis de lancer la première édition 2025 de notre série 4 QUESTIONS À. Florence Verzelen, Directrice générale adjointe, en charge de l’Industrie, du Marketing et du Développement Durable chez Dassault Systèmes, est un leader clé de la transformation industrielle, du développement durable et de l’intégration de l’IA.

Nous avons eu le privilège de la rencontrer pour discuter du rôle de l’IA dans l’industrie du logiciel. Elle a souligné l’expertise de longue date de Dassault Systèmes et l’importance de développer des cas d’utilisation industriels avec des données propres. Florence a également partagé des informations précieuses sur les défis auxquels l’Europe est confrontée pour former des champions de la technologie et sur les efforts en cours pour améliorer la diversité des genres dans l’industrie de la technologie.

Il n’y a qu’une poignée d’entreprises technologiques européennes de taille significative sur les marchés publics. Pourquoi cela ? Que peut faire l’Europe pour rattraper les États-Unis ?

Nous, chez Dassault Systèmes, avons la chance d’avoir un actionnariat de long terme. La famille Dassault contrôle l’entreprise avec 40 %* du capital. De plus, l’ancien président, Charles Edelstenne, détient également 6 % du capital. Cette structure de capital nous protège de tout acquéreur et nous permet de mettre en œuvre une stratégie à long terme en toute sérénité.

Je pense qu’il y a deux principaux obstacles à l’émergence de champions technologiques européens.

Le premier est le manque de fonds de capital-risque et de capital croissance « growth » à une échelle comparable à ce qui existe en Amérique. En Europe, nous disposons d’un bon vivier de startups qui apportent des innovations technologiques significatives. Malheureusement, elles ne trouvent pas les fonds nécessaires pour se développer en Europe et sont très souvent contraintes de partir aux États-Unis.

Le deuxième est la réglementation européenne, qui freine souvent l’innovation. C’est particulièrement vrai dans les domaines pharmaceutiques et de la biologie. Par conséquent, il est souvent plus rapide de déplacer la R&D aux États-Unis pour faciliter le processus d’approbation requis.

Enfin, la collaboration avec le secteur public, notamment les universités, est beaucoup plus lente en Europe qu’aux États-Unis. Par exemple, il nous a fallu deux semaines pour créer un programme de doctorat avec le MIT, alors qu’un programme similaire avec une grande école française a pris deux ans !

En résumé, il existe deux leviers essentiels pour favoriser l’essor des champions technologiques européens : créer un écosystème de marchés de capitaux en Europe et faciliter la collaboration entre le secteur public et le secteur privé.

Que peut faire l’Europe pour rattraper les États-Unis ? Les rapports Draghi et Letta proposent-ils des mesures concrètes ?

Le rapport Draghi a identifié un problème majeur : le coût de l’électricité. L’électricité est deux fois plus chère pour les utilisateurs industriels en Europe qu’aux États-Unis.

L’autre problème significatif identifié est que la propriété intellectuelle européenne est essentiellement centrée sur les anciennes industries manufacturières (automobile) et consiste souvent en des améliorations incrémentales des technologies existantes. L’Europe est en retard en matière d’innovations technologiques de rupture.

La solution viendra probablement de stratégies nationales financées par chaque gouvernement plutôt que d’un effort à l’échelle européenne. Cela impliquera probablement une spécialisation par pays (le nucléaire en France, la robotique en Allemagne, par exemple).

Comment avez-vous intégré l’IA dans votre modèle économique ? L’IA représente-t-elle une menace mortelle pour l’industrie du logiciel, une opportunité, ou les deux ?

Chez Dassault Systèmes, nous sommes impliqués dans l’IA depuis plus de vingt ans. Elle constitue l’épine dorsale des solutions que nous fournissons à nos clients.

L’année dernière, l’attention s’est portée sur les LLM, qui sont des outils utiles pour le grand public et qui ont des applications pour nous, comme le développement d’un manuel d’instructions pour les travailleurs

Le véritable enjeu est d’identifier et de développer des cas d’usage industriels pour nos clients. Le facteur clé est l’accès à des données « propres ». Nous avons pu développer ces cas lorsque nous disposons de nos propres données. Mais certains de nos clients ont besoin d’aide pour nettoyer leurs données et les rendre exploitables par l’IA. Cela leur permettra d’optimiser leurs processus industriels. Plus généralement, je suis convaincue que l’IA générative accélérera les progrès dans des domaines comme la fusion nucléaire sans déchets ou le développement de nouveaux matériaux et molécules.

L’industrie technologique est connue pour être moins ouverte aux femmes que d’autres secteurs, avec quelques exceptions notables (Ruth Porat, Sheryl Sandberg, Safra Catz). Quel est votre point de vue et comment la situation évolue-t-elle ?

Nous avons organisé une réunion de femmes dirigeantes dans la tech cette année à la réunion annuelle du Forum Economic Mondial (WEF) à Davos, et nous étions 25. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a 10 ans, nous n’aurions été que 10 !

Je pense que la clé pour augmenter le nombre de jeunes femmes qui choisissent des études d’ingénieur est de les encourager en leur montrant que c’est une industrie passionnante et dynamique, et qu’elle peut être accueillante pour les femmes.

Quand j’ai été diplômée de l’École Polytechnique, 18 % de la promotion était composée de femmes. Vingt-cinq ans plus tard, ce pourcentage est resté stable. Les progrès ont été lents !

L’autre levier pour améliorer la représentation des femmes dans l’industrie technologique est la reconversion au cours de la carrière. Si l’on accepte que la plupart d’entre nous changeront plusieurs fois de métier à l’avenir et devront se former à nouveau, cela représente une formidable opportunité d’orienter davantage de femmes vers l’industrie technologique.

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