Gouvernance d’entreprise en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis… 3 questions à Carole Piwnica, administratrice indépendante

04/07/2023

Carole Piwnica siège en tant qu’administratrice indépendante au sein de nombreux conseils d’administration depuis 1996, elle a mené auparavant une carrière internationale de dirigeante d’entreprises aux États-Unis puis en Europe. Elle a siégé dans de nombreux conseils d’administration et présidé des comités pour des sociétés internationales cotées et non cotées de premier plan telles que Aviva, Dairy Crest, Eutelsat, Tate & Lyle, Sanofi dans le passé. Elle siège actuellement aux conseils de BIC et du Groupe Rothschild. Avocate de formation, elle offre une perspective globale, originale et pertinente sur la gouvernance d’entreprise. Une interview réalisée par Diane Segalen et Djamal Moussaoui.

 

Vous avez siégé au conseil d’administration de grandes entreprises en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Quelles différences dans le fonctionnement des conseils d’administration dans ces différents pays avez-vous perçu?

Le Royaume-Uni est le pays le plus discipliné et le plus rigoureux en matière de gouvernance d’entreprise, qu’il s’agisse de la fréquence des réunions des conseils d’administration ou de leur contenu, ou encore de la qualité du travail effectué par les comités. Toutefois, son modèle est un système « comply or explain » (se conformer ou expliquer) plus souple que celui des États-Unis ou de la France. Les administrateurs ont tendance à être curieux et très directs.

La France a de son côté clairement rattrapé le Royaume-Uni au cours des dix dernières années. Les informations et les rapports sont plus détaillés, et de meilleure qualité qu’auparavant. Aujourd’hui, la gouvernance française suit un modèle de « parties prenantes », qui prend en compte l’impact plus large sur la société (employés, clients, fournisseurs, ESG, etc.) de l’entreprise, par opposition à la seule prise en compte et ce de manière quasi exclusive de l’actionnaire observée aux États-Unis. Le Royaume-Uni se situe plutôt à mi-chemin, en instaurant un dialogue avec différentes les parties prenantes (ainsi par exemple, les premiers comités de conseil sur la responsabilité sociale des entreprises ont été créés au Royaume-Uni). Les États-Unis évoluent aussi lentement dans cette direction.

Les réunions des conseils d’administration américains ont tendance à être plus courtes. Ces dernières sont également moins fréquentes et les discussions moins approfondies qu’en France ou au Royaume-Uni. Toutefois, les conseils d’administration américains sont fortement encadrés par des lois et des réglementations complexes, suivies de sanctions sévères et de nombreux procès intentés par des actionnaires. C’est la raison pour laquelle un avocat extérieur assiste fréquemment aux réunions et que les dirigeants américains soient réticents à siéger au sein des conseils d’administration. Une autre grande différence réside dans le fait que les administrateurs américains reçoivent une rémunération très élevée, payée en actions, alors que les administrateurs britanniques et français ne sont rémunérés qu’en espèces. Le Directeur général américain (qui est très souvent associé au rôle de Président) dirige et oriente les débats. Le pouvoir du PDG est ainsi très fort aux États-Unis (souvent décrit comme un « PDG impérial »).

La séparation des fonctions de Président et de Directeur général contribue à améliorer le fonctionnement interne du conseil d’administration, en permettant une plus grande indépendance mais aussi une meilleure continuité de la gouvernance, dans le cas où l’un d’eux quitterait le conseil d’administration.

 

Avez-vous remarqué des changements significatifs en France au cours des dix dernières années dans la composition, les discussions et la prise de décision au niveau des conseils d’administration ?

Absolument ! Il y a eu une amélioration significative de la qualité et de la substance des échanges au cours des dix dernières années. Les membres des conseils d’administration sont plus actifs, à même de challenger le Président et le Directeur général. Ils portent une véritable voix et engagent ouvertement la discussion avec la direction. Cette évolution positive est due à plusieurs facteurs:

  • La publication du Code APFEP MEDEF, qui a fourni un cadre utile pour la gouvernance d’entreprise,

  • La séparation des fonctions de Président et de Directeur général -de plus en plus fréquente et souhaitable- qui permet un meilleur fonctionnement structurel du conseil d’administration,

  • L’évolution très positive du nombre de femmes dans les conseils d’administration français (sous l’impulsion de la loi). Les femmes n’ont donc pas peur d’aller au fond des sujets discutés. Elles ne considèrent pas les choses comme acquises, ont tendance à être très préparées et veulent contribuer de manière substantielle au débat pour conforter leur crédibilité.

 

Vous avez siégé au conseil d’administration de plusieurs entreprises cotées familiales. Quelles sont les différences ? Quelle perspective un actionnaire historique et de long terme apporte-t-il à la gouvernance d’entreprise ?

Les entreprises dirigées par des familles présentent un ensemble de défis intéressants pour un administrateur indépendant. Les propriétaires familiaux ont tendance, par nature, à avoir une vision à long-terme, tandis que les actionnaires minoritaires sont plus sensibles aux bénéfices à court terme et à l’évolution du cours de l’action.

Il est important que la famille dispose de son propre espace de débat et de discussion en dehors du conseil d’administration officiel, pour présenter une vision commune et claire lors de la réunion du conseil d’administration.

L’équipe de direction a également un rôle clé à jouer en aidant à arbitrer entre les différents objectifs et à faire émerger un consensus. Il est essentiel de parvenir à un accord. C’est tout le rôle d’un administrateur indépendant que d’être en mesure de comprendre et de prendre en compte les objectifs de chacun – famille et actionnaires publics.