De la femme d’affaires à l’engagement politique… 3 questions à Astrid Panosyan-Bouvet, Députée de Paris, précédemment dirigeante d’entreprise
25/04/2024
Astrid Panosyan-Bouvet est députée de Paris depuis 2022. Née d’un père arménien et d’une mère norvégienne, Astrid est diplômée d’HEC, de Sciences-Po Paris, et de l’Université d’Harvard.
Elle a commencé sa carrière dans le conseil chez AT Kearney avant d’occuper des fonctions de Direction chez Axa puis chez Groupama. En 2014-2015, elle a été Conseillère d’Emmanuel Macron au ministère de l’Économie, des Finances et du Numérique, chargée de l’attractivité économique et des investissements internationaux. Elle a rejoint en 2015 Unibail-Rodamco-Westfield comme Directrice Générale des fonctions centrales, où elle dirigeait notamment les Ressources Humaines, la RSE, la gestion des risques et l’IT, fonction occupée jusque 2021. Elle a par ailleurs occupé des fonctions d’administratrice auprès d’Air France-KLM et la société Fabernovel.
En juin 2022, elle a été élue Députée de la 4e circonscription de Paris.
Avec sa dimension internationale et sa double expérience fonction publique et entreprise, elle nous apporte un éclairage intéressant sur les enjeux d’égalité professionnelle, de RSE et des liens du régulateur avec l’entreprise.
Les publications d’index ou les quotas sont contraignants pour les entreprises : que leur répondez-vous ?
J’entends ce point, en particulier pour les PME, pour lesquelles les index gagneraient parfois à être simplifiés. Mais on peut aussi faire de cette contrainte une opportunité pour s’assurer que le recrutement, la formation ou la mobilité interne soient bel et bien le résultat d’une vraie stratégie autour des talents et des compétences et non la simple conséquence de biais conscients ou non-conscients. Tout ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Sur la base de chiffres et d’évolutions étayées, il est ensuite possible de prendre conscience et d’agir.
Prenons l’index Copé–Zimmermann qui date de 2011 et sur lequel nous avons plus de recul. Les entreprises françaises auraient-elles cette mixité inégalée en Europe et aux États-Unis sans ces mécanismes contraignants ? Cette mixité accrue s’est d’ailleurs accompagnée d’une internationalisation accrue et d’un rajeunissement des conseils d’administration. À noter que le déploiement de cette loi s’est fait progressivement dans le temps, ce qui a été la clef de son succès. Si cette contrainte législative était levée aujourd’hui, très peu d’entreprises reviendraient en arrière, pour des considérations de qualité de gouvernance, mais aussi d’image, de marque employeur et de notation ESG.
Quant à l’index Pénicaud mis en place en 2018 sur l’égalité professionnelle, je me suis rendu compte dans mes fonctions professionnelles précédentes que des index similaires exigés en Grande-Bretagne ou aux États-Unis étaient bien moins complexes que le nôtre. C’est sans doute pour cela qu’à ce jour, seuls 58% des entreprises concernées ont déclarés leurs résultats. D’ailleurs en vue de la transposition en France d’une directive européenne de 2023 sur l’égalité professionnelle, le gouvernement a annoncé qu’il souhaitait simplifier l’index. De manière générale, je souscris pleinement à la proposition qu’aucune réglementation nouvelle ne puisse s’imposer sans un « test PME » car les PME, ne l’oublions pas, représentent 15% de l’emploi salarié et 23% de la valeur ajoutée.
Lors du débat sur les retraites, il y a eu un débat sur la mise en place d’un index senior pour les travailleurs de plus de 50 ou 55 ans. Leur taux d’activité est deux fois moindre que dans les mieux-disants nordiques. C’est un immense gâchis humain et économique : on se prive de savoir-faire, de forces productives et contributives. Or, nous connaissons un vieillissement de la population mais aussi des tensions de recrutement d’où la nécessité de faire mieux. Rappelons que l’exclusion d’un senior du monde du travail touche 3 générations : le senior lui-même, ses parents pour lesquels il devient souvent aidant, et ses enfants dont il peut encore avoir la charge.
L’emploi des seniors ne se décrète pas. Vouloir que les seniors travaillent c’est faire le double postulat qu’ils le peuvent et qu’on leur permet de le faire. Cela pose donc la question des aptitudes physiques et des compétences. L’âgisme reste le facteur de discrimination numéro 1 pour les plus de 55 ans : comme l’a rappelé la défenseure des droits, un travailleur de plus de 55 ans a 3 fois moins de chance d’être convoqué à un entretien d’embauche qu’une personne plus jeune. La retraite progressive doit être un axe majeur, comme c’est déjà le cas dans les pays nordiques.
On le voit : formation continue, santé au travail, représentations culturelles mais dispositifs publics tels que retraite progressive ou cumul emploi–chômage, les leviers sont nombreux pour agir et vont bien au-delà d’un index senior. Mais un tel index senior – si tant est qu’il soit simple de fabrication et de lecture – peut permettre de discuter de la question, tant au sein des instances sociales que des comités de direction.
Rappelons-nous qu’il y a une dizaine d’années nous regardions avec admiration les systèmes d’apprentissage de nos voisins allemands et suisses. Des progrès considérables ont été faits depuis. Je suis convaincue que nous pouvons faire de même pour l’emploi des seniors dans notre pays.
Pouvez-vous nous partager votre opinion sur le poids de la thématique RSE dans les Conseils d’Administration ?
Pour une nation, l’économie, l’écologie et le social doivent avancer ensemble, en se nourrissant d’une culture de compromis. C’est un peu la même chose pour une entreprise : la performance ne peut se mesurer que sur des critères financiers dans un monde où les ressources naturelles ne sont pas infinies et où la polarisation des sociétés prospère sur le sentiment de déclassement individuel et collectif. L’ESG n’est pas un « nice to have » pour redorer la marque employeur ou la communication corporate, ni un « tick the box » pour des raisons de conformité. C’est un levier qui doit se situer au cœur du projet et de la culture d’entreprise quant à sa raison d’être, ses marchés, son modèle économique, sa chaîne de valeur mais aussi sa politique RH et la qualité de son dialogue avec les parties prenantes.
Les entreprises l’ont bien compris. L’expertise RSE est aujourd’hui valorisée pour gagner en résilience et en intelligence collectives. Il y a de plus en plus de comités RSE au sein des conseils d’administration et de surveillance, en complément des comités d’audit et des comités de nominations et des rémunérations. Je ne serai pas surprise que cela devienne la norme dans quelques années. Cette fonction est aussi davantage représentée directement au sein du Comité Exécutif, ce qui est un signe de la place croissante et légitime qui lui est réservée.
En quoi votre expérience du monde de l’entreprise vous est utile ?
L’Assemblée nationale est malheureusement aujourd’hui plus connue pour être le lieu du « bruit et de la fureur » de que de la conversation civique dans un pays déjà très fracturé. À la fois à travers mes origines scandinaves et mon expérience en tant que femme d’entreprise, j’essaie d’y apporter ce qui constitue ma marque de fabrique : ancrage dans le réel, équilibre entre vision stratégique, hiérarchisation des priorités et détails, sens de l’action et du résultat… mais aussi capacité d’écoute et une bonne dose de curiosité avec la conviction chevillée au corps que personne n’a le monopole des bonnes idées !
C’est d’ailleurs pour cela que j’ai créé en octobre dernier un groupe transpartisan sur les mutations du monde du travail. Ce groupe comprend une quarantaine de députés de partis différents et j’ai demandé à deux collègues de l’opposition LR et PS de le co-présider avec moi. Nous avons effectué ensemble des auditions de chefs d’entreprise, de syndicalistes, de chercheurs. Sur la base d’un diagnostic commun, nous allons faire une proposition de loi sur le dialogue de proximité et d’écoute professionnelle. Nous avons également écrit ensemble une tribune dans la presse nationale sur le sujet du travail des seniors sur lequel nous allons aussi faire une proposition de loi commune à la suite de l’échec des négociations sociales au printemps. Je pense que si je n’avais pas eu cette expérience préalable en entreprise je n’aurais sans doute pas lancé ces initiatives transpartisanes.
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